Numéro #1 – Le retour des nations
26/10/2020
Devenu inaudible dans le débat public, le discours de gauche doit se renouveler en profondeur et formuler un projet concret en réponse au défi écologique et au délitement social. Renvoyant dos à dos une pensée libérale et un discours identitaire délétères, le socialisme écologique entend rappeler et renforcer les liens de solidarité qui unissent les hommes entre eux et à l’environnement. C’est une erreur de voir dans la mondialisation un phénomène purement économique. Sa crise est au contraire d’ordre politique. Elle procède de l’affirmation de la puissance des États et de l’absence de correction des déséquilibres sociaux au sein des nations. L’enjeu politique central de la recomposition de la mondialisation est alors de dépasser la simple logique de puissance étatique pour répondre aux enjeux sociaux propres aux nations. Une grave erreur de raisonnement qui ne voit dans la nation qu’un échelon démocratique ou technocratique a conduit à la minoration de l’importance des nations démocratiques dans la mondialisation. Or, la nation démocratique est une forme de vie commune spécifique en ce qu’elle a réussi une synthèse historique et spatiale des différents ordres de l’agir (politique, social, économique, culturel) que la cité elle-même n’avait pas réussi en raison de sa trop petite taille. La fragile alliance entre la démocratie et le régime représentatif est à ce jour la seule voie que nous connaissons pour faire progresser à la fois la liberté et l’égalité. La sociologue Dominique Schnapper nous livre ici une série d’analyses sur les évolutions récentes des démocraties représentatives. Trop facilement réduit à des images percutantes, le mouvement des Gilets jaunes s’inscrit désormais dans l’histoire de la Ve République. Quelques acteurs de cette page historique inédite prennent ici la parole, et se livrent avec deux années de recul, sur leurs espoirs, leur engagement et leur vision de la société française. Contre une approche abstraite ou identitaire, Alexandre Escudier entreprend une généalogie historique et conceptuelle de la nation en examinant les différentes étapes de sa constitution sociale et politique. C’est uniquement à partir de cette analyse concrète des institutions et des mécanismes de régulation sociale qu’il est possible de comprendre la crise actuelle des nations démocratiques. Contre une idée reçue, Thomas Branthôme démontre qu’historiquement la nation s’est construite contre le nationalisme identitaire. Elle a au contraire été le lieu d’une dynamique de démocratisation du pouvoir politique inséparable de l’histoire de la gauche française et européenne. La crise sociale que traversent les nations européennes est étroitement liée aux évolutions contemporaines du travail. Alors que le travail était au cœur de l’articulation de l’économique et du social, la généralisation du marché concurrentiel en a considérablement affaibli la centralité. Nathan Cazeneuve montre que l’avènement d’une société solidaire et écologique ne pourra avoir lieu sans une politique qui fasse du travail et de sa démocratisation son fer de lance. Le renoncement progressif au principe d’égalité territoriale suscite un profond sentiment d’abandon par l’État, qui reconfigure les rapports de certains territoires à la Nation, imposant de repenser le fondement des politiques publiques en matière de lutte contre les inégalités territoriales. Le capitalisme mondialisé est une économie de rentes : financière, digitale, territoriale. Cette situation d’instabilité explique la crise sociale et économique actuelle. Ce n’est donc que par une redéfinition des rapports de production et des institutions qu’il sera possible de parvenir à un modèle de croissance juste et durable. Aujourd’hui, 40% des profits des multinationales sont délocalisés chaque année vers des paradis fiscaux. Gabriel Zucman montre qu’il est néanmoins possible d’imposer les compagnies multinationales – même dans un monde globalisé, et en l’absence de coordination politique internationale. Ainsi pourrait-on accéder à un système plus juste, et à une mondialisation plus sûre. La confrontation entre l’idée d’une nation européenne et celle de l’Europe des nations est stérile. L’Europe et la nation ne peuvent se concilier qu’à partir du dédoublement de la démocratie nationale par une démocratie européenne. Ce que ne peut la souveraineté. Le commerce n’est pas purement une relation de marché, mais un instrument de reconfiguration des institutions nationales. Dani Rodrik examine à quelles conditions il pourrait être légitime de restreindre le commerce international, afin de promouvoir une politique sociale plus juste sur le territoire national. Il définit ainsi les cadres d’une mondialisation plus humaine, et fournit les outils théoriques pour lutter contre le dumping social. Dans son Petit manuel de justice climatique à l’usage des citoyens, James Boyce propose l’instauration d’une taxe-carbone, redistribuée sous la forme d’une rente universelle. Un tel projet pourrait concilier de manière décisive une écologie sérieuse et une politique sociale ambitieuse. La vie des idées à retrouver en librairie : Pierre Charbonnier, Justine Lacroix et Jean-Yves Pranchère, Éloi Laurent, Dani Rodrik, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, Alain Supiot, Muriel Fabre-Magnan, Branko Milanovic.Ce que peut la gauche
Économie et politique : retour des États ou des nations ?
Peut-on, et faut-il, oublier la nation ?
Les voies de la démocratie représentative
Témoignages
Les strates historiques de la « nation » et leurs recompositions contemporaines
La nation, soleil noir de la modernité
Le travail face au marché : défaire le nœud de la crise des nations européennes
Face à une France divisée, réhabiliter le principe d’égalité territoriale. Des territoires des gilets jaunes aux « quartiers »
Croissance, crises et régulation du capitalisme
Taxer les entreprises multinationales au XXIe siècle
Nation et Europe : la possibilité d’une forme politique
Vers une mondialisation plus inclusive : un projet contre le dumping social
Lecture Petit Manuel de justice climatique à l’usage des citoyens de James Boyce
Carnet de lectures