Géomimétisme : réguler le changement climatique grâce à la nature

Votre ouvrage est consacré au « géomimétisme », que vous opposez à la « géoingéniérie ». Pourriez-vous définir ces termes et en préciser l’origine ? Et qu’entend-on exactement par cycles naturels 

Le géomimétisme vient du terme géo-ingénierie et biomimétisme. Le biomimétisme, c’est le fait de s’inspirer de la nature dans les procédés techniques, et la géo-ingénierie, c’est le fait d’avoir un impact global sur le climat grâce à la technique. En somme, le géomimétisme cherche à réguler le climat – c’est-à-dire absorber un maximum de CO2 atmosphérique pour en faire baisser la concentration – en s’appuyant sur les puits naturels de carbone. Il s’agit de les protéger, renforcer et reproduire à grande échelle. 

Ces puits naturels, comme les forêts, les zones humides, les sols agricoles lorsqu’ils ne sont pas labourés, la vie marine, etc. sont inscrits dans des cycles naturels. C’est-à-dire qu’ils sont durables, car basés sur une biodiversité donc chaque plante, chaque animal, joue un rôle dans le cycle de l’eau, le cycle de l’azote, du phosphore, du fer… et bien sûr du carbone. Ce rôle peut être direct, comme quand l’arbre produit de la matière organique et absorbe du carbone, ou indirect, comme le champignon qui fournit à l’arbre des minéraux en échange de sucres. Les insectes ou les oiseaux, en plus de réguler les parasites, apportent dans leurs cadavres du phosphore et de l’azote essentiels aux plantes. Ainsi, plus la biodiversité est riche, plus le puits de carbone est efficace. 

De son côté, la géo-ingénierie propose des « solutions » technologiques et correctives (plutôt que préventives) qui ne s’intègrent pas dans des cycles naturels, qui ne se posent pas la question de la biodiversité, donc qui ne sont pas durables.

 

 

Pourrait-on envisager une collaboration fructueuse entre géo-ingénierie et géomimétisme, ou la géo-ingénierie n’est-elle que l’autre nom de l’inconscience climatique selon vous ? La géo-ingénierie ne peut-elle servir un plan (souhaitable) d’innovation durable ? 

Il y a plusieurs types de géo-ingénierie, ce qui pousse à une réponse nuancée. Certains considèrent que le fait d’absorber le CO2 des usines en sortie de cheminée (CCS : carbon capture and storage) puis de le stocker ou le retransformer est une forme de géo-ingénierie. C’est une solution d’atténuation qu’il faudrait systématiser au maximum, mais ce n’est pas une solution dont le potentiel est massif sur le climat. Pire, en permettant de limiter artificiellement les émissions issues des fossiles, ces dernières peuvent persévérer encore, alors qu’il faut en sortir rapidement. Le CCS est donc un outil transitoire pour réduire l’impact d’industries condamnées à se transformer. 

En ce qui concerne ce qu’on appelle la Capture directe de l’air (DAC), qui consiste à faire du CCS à grande échelle (et pas juste en sortie de cheminée), c’est plus problématique. Il faut tellement d’énergie pour opérer ce procédé qu’il faudrait déployer une infrastructure dédiée colossale. En effet le CO2 est très peu concentré dans l’air – 415 parties par million – alors qu’il l’est beaucoup en sortie de cheminée. 

Le problème fondamental, c’est qu’on ne s’attaque pas à la racine des problèmes : la géo-ingénierie ne pose pas la question de la sobriété énergétique ni des objectifs de développement durable de l’ONU. Le GIEC note les pratiques de géo-ingénierie d’ailleurs assez mal, a fortiori les techniques de géo-ingénierie comme l’énergie biomasse avec capture et stockage du CO2, car elles présupposent d’occuper des terres agricoles pour cela spécifiquement, au détriment des autres impératifs sociaux. 

 

D’un point de vue historique, la géoingéniérie serait-elle un reliquat des fantasmes techniciens de la Révolution industrielle ? 

Les fantasmes techniciens de la Révolution industrielle ont apporté le meilleur comme le pire. Globalement, ils ont surtout apporté des techniques qui ont été utilisées pour décupler les capacités productives et asservir toujours plus les travailleurs, pour parler en termes marxistes. Mais le fait qu’elles aient été utilisées de la sorte, et non pour émanciper le genre humain de sa souffrance, comme l’espéraient béatement les positivistes, est le fruit d’un rapport de forces politique, et non de l’essence des techniques.    

Dans son excellent ouvrage Les Apprentis sorciers du climat, raisons et déraisons de la géo-ingénierie, Clive Hamilton montre qu’au-delà de certaines lubies du 19ème siècle, c’est plutôt la Seconde Guerre mondiale qui marque le point de départ d’une recherche d’ampleur sur les manières de modifier le climat. Elle marque une bifurcation en termes d’industrialisation, de consommation d’énergie, d’émissions de CO2, etc. C’est ce que l’historien Jean-Baptiste Fressoz appelle « la grande accélération »

Aujourd’hui, ceux qui financent le plus les travaux sur la géo-ingénierie sont les majors pétroliers (les mêmes qui finançaient hier le lobby climatosceptique) et des milliardaires de la Silicon Valley comme Bill Gates. Il y a certainement aussi un peu de recherche de toute puissance divine derrière ces investissements, même inconsciemment. C’est très californien. 

 

Il y a finalement un paradoxe aujourd’hui : on nous répète que nous sommes entrés dans le règne du traitement « expert » voire scientifique de la politique, et pourtant, les climatologues et les rapports du GIEC sont rarement pris en compte par les décideurs politiques et les pouvoirs publics – en tout cas, pas à la hauteur de la crise environnementale. La science doit-elle abandonner son discours de « neutralité », et assumer de porter des préoccupations politiques (en l’occurrence écologiques) pour être enfin écoutée ? L’écologue doit-il devenir un écologiste ? 

À chaque fois que je couvre des sommets internationaux comme des COP, je suis frappé par le degré de radicalité politique des scientifiques, dans leurs prises de parole. On voit se multiplier les tribunes de scientifiques mondiaux qui appellent les dirigeants à agir de manière ambitieuse. Je ne vois pas ce qu’ils peuvent faire de plus à ce stade. 

Le scientifique doit éclairer la gouvernance du politique. Si ce dernier fait fi des éclairages scientifiques, alors le problème vient du personnel politique. Sans psychologiser forcément nos dirigeants, on observe tout de même un certain degré de cynisme. Un cynisme structurel même chez beaucoup, qui disposent de toutes les informations nécessaires sur le climat. Les néolibéraux ont par ailleurs méthodiquement travaillé à faire perdre en puissance le politique (et l’État), au profit du privé. Résultat : une volonté politique éclairée n’est pas capable d’aligner des politiques publiques transformatrices. On pense évidemment à Nicolas Hulot. 

Le rapport du politique à la science dépend du degré de dogmatisme du politique. On le voit avec la crise Covid notamment : on sait qu’il faut disposer d’un système hospitalier surdimensionné par rapport au rythme de croisière pour pouvoir absorber des chocs exogènes de ce type de pandémie. Il faut faire des stocks. La politique du stock est une politique de résilience. C’est pourtant l’inverse de l’imaginaire néolibéral, qui fantasme une économie de flux tendu « optimisée ». Or notre gouvernement qui persévère dans ce dogmatisme n’a pas lancé de grand plan d’élargissement des capacités hospitalières. Il préfère même sacrifier l’économie toute entière avec des confinements plutôt que de changer de logiciel. La science intime au politique du pragmatisme, encore faut-il avoir des dirigeants assez compétents pour l’écouter.  

 

Plus généralement, pensez-vous que la crise environnementale soit en train de redéfinir le rôle des scientifiques au sein de la cité, du monde ? 

Quelque part, l’urgence à agir nous oblige à donner relativement plus de poids à la parole scientifique. 

Pour ce faire, il faut dépasser le clivage entre temps court et temps long en politique. Les cycles électoraux sont trop courts, la rente électorale doit être immédiate. L’opposé d’une action planificatrice de décarbonation de la société. Pour casser cette logique, pourquoi pas instituer une troisième chambre consacrée au temps long, un CESE renforcé et capable d’avoir une assise législative ? En s’inspirant de la Convention Citoyenne pour le Climat et du Haut Conseil pour le Climat, il serait certainement intéressant de faire cohabiter scientifiques, experts et citoyens tirés au sort. 

Par contre, j’ai toujours du mal à parler « des scientifiques » comme d’une caste monolithique éclairée, par essence plus proche de la « vérité » que les autres. Les scientifiques ne sont jamais d’accord entre eux. J’ai vu des gens du CNRS presque en venir aux mains, entre eux, à l’occasion d’une conférence sur le nucléaire…Il faut arrêter de penser que le scientifique et le citoyen sont deux entités bien distinctes, et que le premier serait détenteur d’une vérité immaculée de neutralité axiologique. En sciences, il y a des consensus, et il y a des controverses. Dans ce dernier cas, c’est au politique de prendre la responsabilité de trancher.

 

 

Concernant la pêche industrielle, le bilan est catastrophique : les navires-usines capturent 65 millions de tonnes de poissons par an, à la fois destinées à la consommation humaine directe et à l’élaboration d’huiles et farines pour les fermes piscicoles ; la consommation de ces navires-usines est astronomique (environ une tonne de pétrole pour une à deux tonnes de poissons) ; enfin cette forme de pêche rejette 2 à 80 millions de tonnes de poissons morts. Quelles solutions le géomimétisme propose-t-il à la place de ces pratiques destructrices ?  

La pêche artisanale nourrit le même nombre de personnes que la pêche industrielle, alors que cette dernière pille 80% du total des stocks halieutiques. Le produit de la pêche industrielle est largement gaspillé, et sert à faire des farines pour poisson d’élevage…La pêche artisanale maîtrise ses stocks depuis toujours, et souffre du pillage par les navires-usines étrangers. C’est le cas en Afrique de l’Ouest, et en Afrique de l’Est, les pêcheurs deviennent des pirates, car il n’y a plus de poissons.

Lorsqu’on arrête simplement la pêche industrielle et qu’on sanctuarise des réserves marines, les poissons se multiplient à grande vitesse, pour le plus grand bonheur de la pêche artisanale sélective, qui peut se redéployer et embaucher. Le géomimétisme plaide donc pour une diminution partielle de la consommation de poisson, qui est de plus en plus un marqueur social et non un aliment de base, et pour un renforcement de la pêche artisanale, pour lui faire retrouver la vigueur qu’elle pouvait avoir en France il y a de cela 30 ans. 

 

Vous préconisez la fin de la pêche industrielle. Comment faire pour remplacer tous les emplois qui disparaîtraient alors, et ne pas engendrer une vague de chômage ? Peut-on envisager de nouveaux secteurs en accord avec le géomimétisme, qui permettront de réemployer massivement ? 

La pêche industrielle, très mécanisée, ne représente pas beaucoup d’emplois à l’échelle du monde : 500 000 travailleurs, contre 12 millions pour la pêche artisanale. Par contre, cette filière dispose d’équipements lourds facilement adaptables à la culture des algues à grande échelle. 

La culture d’algues à grande échelle offre de nombreux avantages. Elles absorbent du CO2 rapidement, désacidifient et oxygènent l’océan. C’est donc particulièrement pertinent d’en faire pousser dans « les zones mortes océaniques », ces véritables déserts biologiques provoqués par le ruissellement des engrais depuis les fleuves. Mais on peut aussi en faire des biocarburants ! En effet, les algues comme le kelp contiennent jusqu’à 50% d’huile, bien plus que les plantes terrestres (nous devons par ailleurs préserver nos terres arables pour l’alimentation). On sait déjà faire des plastiques de qualité et biodégradables à base d’algue.

On peut très bien imaginer une redynamisation économique de nos littoraux grâce à cette nouvelle activité : l’activité des petits ports repartirait, créant de nombreux emplois et permettant aux raffineries pétrolières de se reconvertir. Il suffit d’un peu de bricolage, et d’une volonté politique pour accompagner cette transition !

 

 

Vous soulevez un certain nombre d’enjeux concernant l’alimentation générale des populations. Par exemple, la consommation de poissons augmente de 2% par an dans les pays occidentaux – il est la deuxième source de protéine consommée. Comment changer les habitudes alimentaires en Occident, et engendrer une « consommation responsable » ? Doit-il y avoir une « pédagogie alimentaire », capable de convaincre le consommateur qu’il lui faut restreindre sa consommation de viande, de poisson, et être vigilant sur la manière dont les produits ont été capturés/abattus, traités et acheminés ? 

Il faut évidemment une campagne de pédagogie alimentaire nationale, pas seulement sur l’impact environnemental de l’alimentation d’ailleurs, mais aussi sur la prévention sanitaire. L’augmentation de la consommation de poisson est très liée à l’esthétique de vie urbaine mondialisée – plateau Netflix/sushis ! Elle augmente avec la poussée démographique des classes moyennes. Elle est aussi liée à l’imaginaire des vacances à la mer… Le problème, c’est que cette augmentation de la demande appelle à une surproduction de poissons d’élevage de très mauvaise qualité, nourris aux hormones et antibiotiques, aux farines de piètres qualités et concentrant dans leur chair des métaux lourds et autres joyeusetés. On parle là de leur désintérêt sur le plan organoleptique, on ne parle ni de goût, ni de condition animale dans ces élevages concentrationnaires. C’est la même logique avec l’élevage terrestre de masse d’ailleurs ; la grande consommation de viande étant aussi un marqueur social, là où nos grands-parents en consommaient 2 ou 3 fois moins. 

Je ne crois pas dans l’approche purement pédagogique, car les changements d’habitudes en termes de consommation prennent des décennies, et sont contrebalancés par des phénomènes d’inertie culturelle (il y a de plus en plus de riches qui veulent consommer plus) et des réalités sociales (quand on n’a pas les moyens d’être « consom’acteur », on ne choisit pas ce qu’on mange). Il faut donc la doubler d’une approche plus coercitive. Les habitudes alimentaires sont des construits sociaux. Dès lors, la restauration collective, dès le plus jeune âge, a un rôle déterminant. Il faut un effort sans précédent de montée en qualité des cantines, partout, des alternatives végétariennes à chaque repas, obligatoire deux ou trois fois par semaine. Du poisson une fois par semaine, mais de bonne qualité (il faut en consommer, a fortiori des poissons gras, pour leurs très bons acides gras). Il faut également jouer sur les signaux prix, de manière à pénaliser la viande industrielle par exemple en y incorporant les coûts indirects, tout en aidant l’élevage extensif intégré à l’agriculture. 

 

N’est-il pas problématique de faire uniquement reposer l’enjeu écologique sur des autocontraintes citoyennes ? 

Que ce soit pour l’écologie ou pour la pandémie, il est évident que les partisans du néolibéralisme cherchent tendanciellement à faire peser la charge mentale sur les individus avant tout. Mon ami César Dugast de Carbone 4 avait publié cette étude désormais célèbre, intitulée « Faire sa part », dans laquelle il démontrait que si chaque Français poussait au maximum tout ce qu’il pouvait faire individuellement sans gros investissement financier, il pouvait espérer réduire son empreinte carbone de 25% maximum (10% rien qu’en devenant végétarien). On peut y rajouter 20% si investissement lourd, de type changer de chaudière ou acheter une voiture électrique. Le reste, quelque 60% des émissions, ce sont les émissions « systémiques », des entreprises qui produisent les biens et services consommés ou de l’État. 

Même s’il s’agit là d’un calcul « toutes choses égales par ailleurs », puisque si le citoyen changeait drastiquement de comportement, il changerait ses habitudes de consommation donc les émissions des entreprises qui lui sont liées, cela nous donne un ordre de grandeur pertinent : l’écologie est avant toute chose une approche systémique, donc par le haut. Le bas – les citoyens – peut faire changer le haut, par son vote notamment.  

 

Nous traversons aujourd’hui une crise du multilatéralisme. Est-il néanmoins possible de le régénérer au profit d’une lutte active et interétatique en faveur du climat ? Selon vous, la réponse apportée à la crise environnementale doit-elle se faire à la fois à l’échelle de l’État-nation, de l’Europe, et d’une coopération internationale ?

Il est trop tard pour se priver d’une quelconque échelle. Il faut avancer partout sur tous les fronts en même temps. D’où l’idée d’instaurer par la loi le principe de la « subsidiarité écologique » : en termes de politique publique écologique, on confère la primeur à l’échelle la plus ambitieuse selon un arbitrage qui peut être réalisé par un CESE renforcé, la fameuse troisième chambre du temps long que je mentionnais. Ainsi, si les normes de l’UE sur tel ou tel sujet énergétique sont plus ambitieuses en termes de décarbonation, elles s’appliquent ; si c’est l’État ou une commune qui propose un projet plus ambitieux, alors la gouvernance leur revient. Cela permet de ne brider aucune bonne volonté et d’avancer constamment au rythme du mieux-disant.

Le multilatéralisme atteint effectivement un niveau d’impuissance qui rappelle la fin de la Société des Nations. Les COP, que j’ai pris l’habitude de suivre sur place, sont une série d’échecs. Pourtant, il faut imaginer le scénario suivant : un gouvernement déterminé et ambitieux est élu en France en 2022, il pèse de tout son poids diplomatique et commercial pour embarquer l’UE et un maximum de pays dans une dynamique « Accords de Paris renforcés », c’est-à-dire imposer de la contrainte. Parfois, sous couvert de non-respect des droits de l’Homme, on prend des mesures de rétorsion commerciale, d’embargo. L’UE est de loin la première zone commerciale au monde, et l’UE n’est rien sans la France, qui peut très bien conduire une politique de chantage à l’écologie. Une sorte de menace de la chaise vide, ou du retrait de la participation budgétaire, si les autres ne suivent pas. C’est aussi ça, du gaullisme vert !

 

 

Il semblerait que peu d’entreprises planifient elles-mêmes la transition écologique de leur secteur. Doit-on envisager la nationalisation temporaire de certaines entreprises pour les y contraindre ? Est-ce économiquement viable ? 

Le problème ne vient pas de la volonté des entreprises, du moins pas de la grande majorité. Dans les grandes entreprises, on observe une véritable acculturation sur les enjeux environnementaux. Beaucoup sont prêtes à changer, à se donner des normes bien plus exigeantes. Seulement, elles ne le peuvent pas, car alors elles s’exposeraient directement à la concurrence déloyale, au dumping social, fiscal et environnemental. Il faut que la puissance publique régule davantage et les protège ! 

L’État doit aussi jouer un rôle d’assureur, sinon les entreprises ne se lanceront pas dans l’aventure (surtout en ces temps difficiles). Il faut ainsi créer des mécanismes de compensation, des caisses de transition écologique par filière pour combler les manques à gagner. Ce devrait être le rôle de la Banque Publique d’Investissement que d’assurer ces financements et la gestion des caisses, que l’on devrait pouvoir alimenter directement via la BCE (par de la création monétaire) et par des taxes sur les pollueurs, pour pousser tout le monde à changer. 

La nationalisation est loin d’être une option prioritaire, l’État doit surtout aider les bonnes volontés. En revanche, il va falloir lancer des grands travaux dans certains domaines, et donc disposer d’un État capable de planifier, d’embarquer les entreprises dans le projet. C’est le modèle de planification à la française, qui nous a permis de faire de grandes choses. Il va falloir alors nationaliser certains secteurs clefs, comme l’eau, le rail ou l’énergie qui sont des « monopoles naturels ». On ne pourra pas faire de grandes économies d’énergie si les acteurs de l’énergie basent leur business model sur le nombre de kWh vendus. 

 

 

Avons-nous assez recours à la « diplomatie climatique », et comment la mettre en œuvre ? 

Une vraie diplomatie climatique, cela reste entièrement à construire. Pourtant, nous en aurions les moyens. Nous disposons du troisième réseau diplomatique au monde derrière la Chine et les USA. Les diplomates les plus importants dans la structuration des négociations climatiques sont français. Il faut d’une part acculturer les fonctionnaires du Quai d’Orsay et notre corps diplomatique, de l’autre systématiser les clauses environnementales dans nos accords bilatéraux. Chaque échange doit être l’occasion d’insuffler de l’écologie dans le monde. C’est l’inverse qui est fait actuellement, lorsqu’on vend des rafales à l’Indonésie contre des augmentations d’importation d’huile de palme ou qu’on signe le CETA avec le Canada, en fermant les yeux sur ses sables bitumineux. 

Il faut par ailleurs redonner des moyens financiers et humains à notre diplomatie, et s’appuyer sur nos réseaux d’influence et notre soft power pour pousser les autres gouvernements à embrayer sur des politiques climatiques. Nous avons apporté les droits de l’Homme au monde, apportons-leur désormais les Droits de l’Homme et de la Nature. 

 

 

Faudrait-il envisager que l’ONU ait un pouvoir d’intervention armée pour défendre les forêts, les océans, la faune et la flore, à des endroits du monde où ils sont mis en danger par des politiques nationales ? Doit-on repenser le rôle coercitif de l’ONU, sur le plan environnemental, et envisager des « casques verts » ? 

En effet, il le faudrait. On accepte l’ingérence de l’ONU à travers les Casques bleus, personne n’y voit là un non-respect de la souveraineté des États. Visiblement, tout le monde accepte aussi l’ingérence de l’OMC ou de la Banque Mondiale. Le climat c’est aussi de la sécurité. Certains pays détiennent sur leurs territoires des biotopes dont dépend l’ensemble du climat, donc l’ensemble de l’humanité. On pense bien sûr à la forêt amazonienne. C’est donc un bien commun de l’humanité qu’il faut protéger par un multilatéralisme coercitif. 

Cela peut sembler un peu loin en ce moment, vu l’état piteux du multilatéralisme. Les COP sont une série d’échecs, car des pays bloquent systématiquement quand on veut que l’accord de Paris soit juridiquement contraignant. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser que la France, qui entraînerait de force l’Europe derrière elle sur une politique beaucoup plus ambitieuse et contraignante (sous peine de ne plus alimenter le budget de l’UE par exemple), pourrait emmener une large majorité de pays. Par ailleurs, ce qui handicape les négociations climatiques, c’est justement qu’elles sont seulement climatiques. Il faudrait y intégrer l’économique, et pour ce faire, supprimer les institutions comme le G8, G20, etc., et faire de l’ONU la seule enceinte dans laquelle les normes économiques globales soient élaborées, conditionnées aux accords climatiques. 

Entretien réalisé par Marion Bet et Emma Carenini

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