Les trois défis de l’écologie pour le monde politique

La conquête du pouvoir par Emmanuel Macron en 2017, s’était accompagnée de la promesse d’un nouveau monde politique. Plus jeune, moins accroché aux délices du renouvellement du mandat, moins friand de cumul, plus compétent. Trois ans après, la vie politique française reste marquée par l’ancien temps. Alliances de circonstances, changement d’étiquette, revirements et passe-droits pour les plus protégés. L’influence des cabinets ministériels, du monde des experts non élus et autres consultants est en plein essor. La déception de ceux qui avaient cru à ce changement d’époque est palpable au sein même de la majorité présidentielle – création d’un nouveau groupe à l’Assemblée nationale (Ecologie, démocratie et solidarité) très majoritairement constitué de députés venus d’En Marche. Et l’aspiration à un nouveau monde politique a encore gagné en ampleur et en visibilité. Elle se manifeste dans le refus des règles du jeu – l’abstention- , l’interpellation – le Référendum d’initiative citoyenne des gilets jaunes – et de manière frappante autour de la dynamique électorale des écologistes. L’écologie est un moteur de renouveau démocratique. 

Après les élections européennes en 2019 et un résultat très honorable pour les Verts, la vague du second tour des municipales a été une confirmation. Lorsque des villes comme Lyon, Marseille, Bordeaux, Strasbourg, Tours, Poitiers, Besançon basculent cela n’a rien d’anecdotique. Lorsque des maires socialistes comme Anne Hidalgo (Paris), Johanna Rolland (Nantes) ou Nathalie Appéré (Rennes) sont réélues autour de projets socio-écologiques, une orientation qui a aussi permis à Mathieu Klein de conquérir Nancy, on comprend que ces questions sont désormais centrales pour la gauche lorsqu’elle veut exercer des responsabilités. Le nouveau monde politique sera plus vert. Cela concerne à la fois les personnes, le projet, la capacité à passer des discours aux actes, et la vision de l’avenir. Et cela dépasse le seul parti Europe Ecologie Les Verts (EELV). La droite elle-même l’a compris lorsqu’à défaut d’avoir trouvé un héraut sur ces enjeux, elle tente de forger des thématiques écologiques compatibles avec son projet (innovation, écologie des solutions). 

Cet élan ne peut être envisagé sous le seul angle des résultats électoraux.  Faire rimer nouveau monde politique et écologie c’est affronter trois ruptures essentielles:

La première est celle de la relation aux savoirs et à la complexité. Donner aux sciences leur pleine portée, prendre le temps de réfléchir et de douter, s’intéresser à d’autres cultures que la sienne, lire tout simplement, oublier le traitement strictement technique et le cours habituel des choses sur les dossiers pour poser la question du sens de l’action dans la durée. Oui l’écologie rebat complètement les cartes de ce qu’il était convenu d’appeler une action politique utile et efficace.


Cela implique bien sûr une rupture sociologique. Etre élu, devenir un responsable politique, aspirer aux plus hautes fonctions reste encore aujourd’hui un parcours marqué par la culture du « baron noir », de la capacité à déjouer les coups tordus, et d’un jeu de poker menteur où les effets d’annonce et la mauvaise foi assumée deviennent une colonne vertébrale. C’est un peu cela la virtù de Machiavel. A l’opposé souvent d’un parcours autour de l’écologie où c’est l’invention d’autres manières de faire, une prise de risque autour de l’imagination et du saut dans l’inconnu, sans toujours se préoccuper suffisamment de convaincre. L’écologie n’enterrera pas le machiavélisme et il faudra bien sûr une bonne dose de virtù à ceux qui la portent. Mais sans transformer l’ensemble des élus de la République en climatologues ou en botanistes,  il est devenu nécessaire de donner une place à des motivations différentes. Ce sont déjà d’autres caractères qui émergent. De l’avocat Pierre Hurmic à Bordeaux à Bruno Bernard qui venu de l’entreprise dirige la métropole de Lyon, ou Michèle Rubirola la médecin des quartiers Nord de Marseille, on découvre des personnalités qui ont allié l’opiniâtreté des minoritaires – il a été long le temps de la conquête – à une connaissance forte de leur territoire. Il a fallu aussi garder une curiosité et une attention à ce qui se passe ailleurs que n’ont plus toujours certains élus traditionnels. S’agit-il alors d’aller chercher dans la « société civile » ceux qui nous représentent? En partie. Mais  sachons aussi parier sur la capacité de certains parmi ceux qui sont là à prendre le le train du changement culturel en cours. Le changement culturel n’implique pas le « dégagisme » à tout crin. Il s’agit plutôt de porter différemment l’interrogation autour de ce qu’est un bon représentant, de ce que les citoyens attendent de lui.

Enfin une rupture éthique. Il ne s’agit pas de céder à un moralisme facile et de repeindre à nouveau le monde en noir et blanc, ou plutôt en vert et anti-vert. Mais reconnaître l’urgence écologique, placer la nature au centre du jeu, ne pas dissocier l’urgence sociale de la justice climatique, porter l’objectif d’une transformation politique en profondeur qui se lie à la transformation culturelle oblige à une certaine transformation de soi. Rappelons-nous de l’interpellation du forestier Aldo Léopold qui nous invitait à « penser comme une montagne ».  Pour que l’écologie devienne projet politique l’enjeu est celui d’une intégration dans les formes du contrat social d’une pensée de la nature, de l’ensemble des êtres non humains, végétal comme animal. Cet élargissement de perspective modifie toutes les catégories de l’action et de la pensée. La victoire ou la défaite, l’espace utile, le temps qui reste. Il affecte à l’évidence les institutions dans leur légitimité et leurs usages.

Si nous voulons donner à l’écologie politique sa pleine portée ce sont ces trois ruptures qui sont devant nous.

 

Lucile Schmid est Vice-présidente de la Fabrique écologique

 

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