Numéro #6 – La démocratie au travail

« La démocratie au travail », Germinal #6, mai 2023, dir. Marion Fontaine, Nathan Cazeneuve. 

 

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Edito – Qu’est-ce qu’une politique socialiste du travail ? 

Marion Fontaine et Nathan Cazeneuve

Depuis plusieurs décennies, l’ambition d’une organisation démocratique du travail a presque disparu du débat public au profit de politiques de l’emploi, centrées sur la lutte contre le chômage, et portant sur des déterminations extérieures aux relations de travail (niveau des cotisations sociales, formation professionnelle). Face à des inégalités croissantes dans le partage de la valeur ajoutée, aux enjeux soulevés par la transformation écologique et aux phénomènes d’intensification du travail et de recomposition de certains secteurs, une politique socialiste du travail s’avère d’actualité. Elle invite à remettre au centre des luttes politiques le contenu du travail, son organisation démocratique et son importance en matière de santé publique.

 

Les politiques du travail et de l’emploi depuis les années 1970 : entre protection des travailleurs et néolibéralisme

Matthieu Tracol

Les politiques du travail et de l’emploi menées en France ont connu de profonds bouleversements depuis cinquante ans. Le chômage de masse a d’abord eu comme effet d’impulser un mouvement de renforcement des protections accordées aux travailleurs. Il a cependant servi ensuite d’argument pour affaiblir ces mêmes protections. Le basculement est resté incertain durant les années 1980 et 1990, puis est devenu beaucoup plus net dans les années 2000 et 2010. Il est maintenant permis d’espérer que ce programme néolibéral connaisse à son tour un essoufflement.

 

Comment mieux rémunérer le travail ?

Entretien avec Philippe Askenazy

La part du travail dans la répartition de la valeur ajoutée diminue nettement depuis plusieurs décennies. L’économiste Philippe Askenazy revient sur les évolutions des mécanismes de formation des salaires et de structuration du marché du travail qui expliquent cette tendance qui se manifeste par une modération salariale. La désindexation des salaires, la fragmentation du marché du travail, et le pouvoir de monopsone des employeurs expliquent la pression à la baisse sur les salaires.
Une politique salariée fondée sur la fin des allègements de cotisations sociales, une augmentation substantielle du SMIC et des négociations de branche permettrait d’inverser cette tendance.

 

La réforme de l’entreprise… impossible ?

Alain Chatriot

La réforme de l’entreprise a été au XXe siècle au cœur d’un moment modernisateur qui permettait à des sensibilités différentes de se rencontrer sur un projet commun. Mais l’action de ces démocrates- chrétiens, technocrates, gaullistes ou syndicalistes minoritaires s’est heurtée à la fois à des confédérations de syndicats de salariés prises dans d’autres logiques et à un patronat organisé qui ne voulait pas se voir déposséder de son pouvoir. Pour autant, la question de la démocratie sociale reste dans l’entreprise et en France toujours posée.

 

Les fonctions de la RSE contemporaine : de l’organisation du marché à l’organisation de la relation de travail 

Emmanuelle Mazuyer

Depuis la fin du XXe siècle, les dispositifs de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE) se sont largement développés. Initialement mobilisés selon les stratégies de marché des entreprises, ces dispositifs ont conduit à la formulation de nouvelles obligations, notamment en matière de reporting extra-financier. La juriste Emmanuelle Mazuyer analyse les conséquences de ces dispositifs sur les relations de travail et l’organisation des entreprises.

 

L’économie sociale et solidaire : un moyen de transformer l’investissement et les entreprises ?

Entretien avec Pascal Demurger et Jérôme Saddier

Comment démocratiser les entreprises ? Historiquement, les entreprises mutualistes ont constitué une alternative à la propriété et à la gestion privée du capital. De quelles dynamiques de transformation du capitalisme sont-elles aujourd’hui porteuses ? Pascal Demurger, directeur général de la Maif, et Jérôme Saddier, président du Crédit Coopératif et d’ESS France, éclairent ici les évolutions et les ambitions contemporaines de l’économie sociale et solidaire et leur portée pour l’ensemble de l’économie.

 

« Il faut une rentabilité moindre du capital pour davantage d’investissements et d’équité »

Entretien avec Éric Lombard

Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts, présente ici les raisons pour lesquelles les exigences actuelles de rentabilité du capital ne sont pas soutenables. Afin de développer l’investissement, d’assurer le financement de la transition écologique et de permettre une meilleure rémunération du travail, il propose la définition par les acteurs économiques, sociaux et politiques d’une cible en matière de coût du capital. Il revient également sur les activités de la Caisse des dépôts dans la transformation de l’économie française.

 

Entreprises, risques et transition écologique : de la responsabilisation à la socialisation ? 

Lucie Rondeau du Noyer

La conscience accrue des risques environnementaux contribue à réactualiser un débat constitutif du socialisme : est-ce à l’échelle de la société ou de l’entreprise que doit s’amorcer la transition vers une économie et une société plus justes ?

 

Auto-entreprenariat : quels défis et quels modes de régulation ?

Entretien avec Sarah Abdelnour

Depuis plusieurs années le statut d’auto-entrepreneur ne cesse de progresser au point d’avoir renversé la tendance d’une réduction du nombre des travailleurs indépendants. La sociologue Sarah Abdelnour revient sur les conséquences sociales de cette transformation, les dynamiques d’organisation qui s’y manifestent et l’ambivalence des aspirations à l’autonomie que recouvre l’auto-entreprenariat. Elle invite à une réflexion renouvelée, à partir des limites de l’auto-entreprenariat, sur la socialisation des salaires, la répartition de la valeur et la possession des moyens de production.

 

Télétravail, flexibilisation et inégalités

Marianne Le Gagneur

La progression de la pratique du télétravail est porteuse d’une dynamique ambivalente. Si elle concerne surtout les salariés qualifiés, elle permet également une réduction de certaines contraintes et notamment du temps de transport. Pour autant, celle-ci a accentué les inégalités de genre et a produit des effets d’intensification du travail ou de dégradation des conditions de travail par la pratique du flexoffice. Le télétravail présente ainsi le risque d’un travail intensifié qui pose la question tant de l’organisation du travail que de la frontière entre le travail et la vie domestique et familiale.

 

Santé, travail et mouvement socialiste : une politisation à éclipses

Marion Fontaine

Les questions de santé et de risque au travail ont fait l’objet d’un intérêt précoce de la part d’une partie du mouvement socialiste et ouvrier. La politisation de ces questions s’est cependant durablement heurtée au dilemme entre le niveau de vie, le salaire d’une part, la santé, l’espérance d’une vie de l’autre. Elle est rarement parvenue par ailleurs à faire prévaloir une logique de prévention, plus que de simple réparation financière des préjudices. Sur la base de ce bilan, l’article s’interroge donc sur la manière dont pourrait se construire, aujourd’hui, une politique effective et durable des enjeux de santé au travail.

 

Le préjudice d’anxiété dans les contentieux de santé au travail

Entretien avec Cédric de Romanet

L’avocat en droit social, Cédric de Romanet, revient sur le développement récent de la notion de préjudice d’anxiété à partir de la situation des travailleurs exposés à l’amiante et d’une action en justice menée par le syndicat CFDT des mineurs de Lorraine. Si la notion de préjudice d’anxiété traduit une évolution du droit des risques professionnels vers la prévention et permettrait d’articuler dommages corporels et psychiques, son application rencontre une série d’obstacles.

 

L’organisation du travail : tensions entre aliénation et solidarité dans la division du travail 

Nathan Cazeneuve

Les enjeux d’organisation du travail font l’objet d’une faible attention politique, par comparaison à ceux liés à la répartition de la valeur ajoutée, alors même qu’ils engagent la justice de la division du travail. Dans une perspective socialiste, la question de l’organisation du travail s’avère le lieu de résolution possible des tensions entre aliénation et solidarité dans la division du travail. Face à la parcellisation des tâches qui accompagne la spécialisation, elle suppose une organisation démocratique du travail, par les syndicats, aux différents niveaux décisionnels (sites, entreprises, groupes, branches), ainsi qu’un droit aux loisirs et à l’éducation tout au long de la vie.

 

Pour une codétermination à la française

Entretien avec Laurent Berger

Secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger revient ici sur les mutations sociologiques du travail et du syndicalisme, sur la démocratisation du travail et des entreprises et sur les liens entre santé au travail et transformation écologique. Il plaide en faveur d’un modèle français de codétermination.

 

Au-delà de l’emploi ? Refonder le travail et son imaginaire à l’ère du numérique 

François-Xavier Petit

Le débat entre destruction et création d’emplois par le numérique est une mauvaise manière de poser la question de l’ampleur des transformations qu’il engendre dans le travail. L’automatisation numérique invite au contraire à considérer le contenu et l’organisation du travail. Cette réflexion engage la définition de critères normatifs sur les évolutions numériques qui oscillent entre remplacement du travailleur et augmentation de ses capacités. Elle pose également la question de l’évolution des droits attachés au travail au travers des enjeux de portabilité numérique des droits.

 

La quête de sens au travail face à la pénibilité

Nina Karam-Leder

La question du sens au travail permet d’apporter un éclairage sur l’ambivalence actuelle du rapport au travail : plutôt que de voir dans les tensions du marché du travail le signe d’une perte de centralité du travail, il convient davantage d’y voir l’expression d’une attention plus grande à sa portée sociale mais aussi à son organisation. À ce titre, la question du sens du travail engage celle de son organisation concrète, de la pénibilité et de la santé au travail.

 

Les femmes du lien : enquête photographique auprès des professionnelles du soin

Entretien avec Vincent Jarousseau

Photographe, Vincent Jarousseau, a suivi pendant plusieurs mois le quotidien de travailleuses des professions du soin. Il revient ici sur l’expérience de travail, les difficultés et la politisation de ces « femmes du lien ».

 

Le travail logistique

Entretien avec Carlotta Benvegnù

Le secteur de la logistique représente aujourd’hui 25 % de l’emploi ouvrier. Caractérisé par une forte pénibilité, le recours à l’intérim et à la sous-traitance, le travail logistique connaît une dynamique d’intensification sous l’effet de la numérisation que l’on retrouve également dans d’autres secteurs du tertiaire. La sociologue Carlotta Benvegnù revient sur ces évolutions, leurs conséquences sur l’organisation des travailleurs et les mobilisations syndicales.

 

Figeage, empêchement, procuration : les effets politiques de l’inactivité professionnelle

Cyril Lemieux

Qu’est-ce que l’inactivité professionnelle fait à la politisation ? À partir du cas des retraités, des chômeurs et précaires et des « femmes au foyer », le sociologue Cyril Lemieux montre que le fait d’être sans emploi tend à occasionner, pour les personnes concernées, une politisation figée, empêchée ou vécue par procuration. Mais ces obstacles à une citoyenneté politique active ne signifient pas pour autant une dépolitisation. C’est ce qui plaide, plus encore que pour l’idée de « droit au travail », pour celle d’un « droit social universel à l’intégration professionnelle », seul à même de libérer au sein de la société le potentiel de politisation des personnes dites « inactives ».

 

Ce que la politisation doit au travail : enquête sur la France frappée par l’épidémie de Covid-19

Marine Boisson et Baptiste Legros

L’enquête COVIPOL menée auprès de différents groupes socio- professionnels pendant la crise du covid envisage les dynamiques de politisation à partir des relations de travail. Marine Boisson et Baptiste Legros en présentent ici les premiers résultats : la politisation par le travail s’opère à proportion des interdépendances professionnelles. Elle est engagée lorsque les acteurs réalisent que les problèmes qu’ils affrontent sont dépendants de logiques qui ne peuvent être réduites à des dimensions individuelles, naturelles ou culturelles.

 

La précarité et la pauvreté, c’est aussi du travail

Nicolas Roux

Si le CDI demeure la forme de contrat de travail majoritaire, la précarité du travail n’a cessé de progresser ces dernières décennies. Cette tendance favorise la critique de l’assurance chômage ou des minima sociaux au nom du refus supposé de leurs bénéficiaires de travailler. Face à ces critiques, le sociologue Nicolas Roux souligne que la précarisation de l’emploi a augmenté le travail hors emploi, qu’il s’agisse de la lourdeur des démarches administratives pour l’obtention des droits – dont le taux de non-recours demeure important –, ou de la gestion de la continuité de l’emploi entre plusieurs contrats courts.

 

Hiérarchies au travail sur les plateaux de tournage

Gwenaële Rot

À l’heure où l’on parle de « libérer l’entreprise » en s’émancipant du modèle bureaucratique et où il est de bon ton d’interroger la légitimité de la hiérarchie en insistant sur son inadaptation par rapport aux exigences de changement et d’innovation, que peut nous apprendre le cinéma comme espace professionnel caractérisé, depuis sa naissance, par une très forte flexibilité ? La fragilité des positions dans un système où il faut en permanence surmonter des difficultés et où la réputation professionnelle conditionne l’employabilité, conduit à accepter, plus que dans bien d’autres milieux professionnels encadrés par des règles bureaucratiques protectrices, des formes de violence sociale.

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