Paul Fauconnet : une approche sociologique de la responsabilité. Entretien avec Sacha Lévy-Bruhl

Revue Germinal : Sacha Lévy-Bruhl, vous rééditez aujourd’hui l’ouvrage de Paul Fauconnet, La responsabilité. Étude de sociologie (1920). Pouvez-vous présenter brièvement cet ouvrage et ce sociologue, souvent présenté comme « l’oublié des oubliés » parmi les représentants de l’école française de sociologie ?

Sacha Lévy-Bruhl : Paul Fauconnet faisait effectivement partie de ce que l’on appelle traditionnellement l’école durkheimienne, du nom de son fondateur. Sa particularité tient à ce que son importance dans ce mouvement est inversement proportionnelle à sa reconnaissance contemporaine. Dans la première moitié du XXe siècle, il était vu comme l’un des principaux fondateurs de la discipline sociologique en France, et il peut être considéré, avec Marcel Mauss, comme le plus proche élève de Durkheim. Membre de la revue L’Année sociologique dès sa fondation, il en fut l’un des collaborateurs les plus prolixes, et, après la mort du maître, c’est lui également qui reprendra ses cours à La Sorbonne. Quelques années plus tard, il est nommé dans cette même université à la chaire de sociologie que le décès de Durkheim avait laissé vacante, officialisant ainsi son statut de successeur. On peut donc dire qu’il s’agit d’une figure incontournable dans l’histoire des premiers temps de la sociologie française.

S’il est pourtant si peu connu aujourd’hui, c’est principalement parce que ses travaux purement académiques sont peu nombreux : ils se résument, pour l’essentiel, à ce seul ouvrage, qui est aussi sa thèse de doctorat. Il l’entame en 1898 sous la direction de Durkheim : elle vise à développer une partie des cours de sociologie du droit pénal que ce dernier avait enseignés à l’université de Bordeaux au début des années 1890, et dont une grande partie a été intégrée au premier livre de La division du travail social. Le reste des manuscrits de ce cours ayant disparu, la thèse de Fauconnet fournit le témoignage le plus complet de ce qu’étaient les conceptions de Durkheim sur la responsabilité pénale. Le choix du sujet indique déjà la place stratégique du jeune auteur car le droit pénal a toujours revêtu, pour Durkheim et ses élèves, un statut spécifique : c’est par l’étude du droit que l’on atteint le cœur de la morale d’une société.

Il en va effectivement, avec La Responsabilité, d’un des textes les plus audacieux et les plus riches de la tradition durkheimienne. Le cadre de la démonstration, n’a, a priori, rien d’original. Sa valeur vient précisément de ce qu’il applique la méthode durkheimienne à la lettre. Fauconnet cherche à décrire les imputations de responsabilité, soit les relations que l’on construit à partir d’un crime pour en déterminer le responsable, comme des faits sociaux, c’est-à-dire comme des faits intégralement déterminés par la structure de la société dans laquelle ces imputations ont cours. Son ambition consiste donc à établir une théorie générale de la façon dont les sociétés imputent des actes, en l’occurrence des actes criminels, à partir d’un passage en revue de toutes les formes que ces imputations ont pu revêtir, permettant ainsi de retrouver, derrière leur variabilité, ce que ces imputations ont de fondamental et d’universel. L’enquête doit donc conduire à établir clairement selon quelle modalité toute société, lorsqu’elle est confrontée à un crime, y répond en choisissant un responsable. Au-delà de la théorie générale, il s’agit surtout, sur cette base, de comprendre les spécificités de l’imputation des crimes dans les sociétés modernes.

 

Précisément, en quoi cet ouvrage sur la responsabilité est-il éclairant sur la manière dont les sociétés occidentales modernes ont construit leur mode de responsabilisation ? Sur quel type de transfert repose ce processus ?

Ce n’est justement qu’en réintégrant le cas moderne dans l’ensemble des cas connus, que l’on peut identifier, par contraste, des spécificités pouvant servir à le caractériser. Lorsque nous, modernes, nous interrogeons sur un acte criminel à imputer, c’est dans une direction très précise que notre réflexion s’oriente a priori : nous cherchons qui est l’auteur de l’acte, avant de s’assurer qu’il a bien voulu le crime en question, que sa volonté y a été subjectivement impliquée. Ces deux caractéristiques – une implication matérielle et une implication subjective dans le crime – définissant le responsable comme l’auteur volontaire de l’acte, nous paraissent tellement essentielles que l’on ne peut songer à définir la responsabilité autrement. C’est précisément sur ces critères que Fauconnet entend revenir en montrant qu’ils ne sont nullement consubstantiels à l’idée de responsabilité prise en général.

S’il est possible de faire porter l’interrogation sociologique à ce niveau le plus fondamental, c’est que Fauconnet fonde sa démonstration sur deux choses : une théorie très spécifique du droit, et une approche comparative des jugements d’imputation de responsabilité. La première est fournie par Durkheim lui-même, pour qui le droit pénal fonctionne sous la forme d’une réaction pulsionnelle d’un corps social à un acte qui le blesse ; réaction qui constitue la sanction et qui a pour vocation de soulager les émotions froissées par le crime en retombant sur le point qui a déclenché cette sanction. Il faut effectivement revenir ici à la notion de transfert, qui est celle que Fauconnet utilise en un sens très spécifique dans sa démonstration : s’il y a transfert, c’est parce que la sanction cherche d’abord à toucher le crime en lui-même, mais ne le pouvant, car le crime est une réalité toujours déjà passée et insaisissable, elle se voit transférée vers ce que Fauconnet appelle, après Durkheim, un « patient substitut ». C’est ce mécanisme qui constitue l’essence même de la responsabilité d’une façon universelle : tout crime produit une réaction sociale sous la forme d’une sanction voulant atteindre le fait criminel, mais devant être transférée sur un patient qui s’y substitut.

On approche également ainsi la raison de son évolution : le transfert, qui est donc le cœur du mécanisme de l’imputation de responsabilité, s’effectue selon des normes qui sont propres à chaque société. S’il en est ainsi, c’est qu’il fonctionne à partir de l’économie morale dans laquelle notre représentation du crime est prise : le crime évoque, pour chaque société donnée, certaines figures qui seront propices à recevoir la sanction à sa place. Comme le rapporte Fauconnet, d’une société à l’autre, on punira, pour un même fait : un groupe entier, une descendance, un animal, une plante, un objet, etc. Dans les sociétés modernes on ne peut plus punir qu’un seul type de patient : l’auteur volontaire de l’acte. En réintégrant le cas moderne dans un ensemble de cas généraux et variables, Fauconnet procède donc à une remise en cause extrêmement radicale de notre conception de la responsabilité : punir l’auteur volontaire de l’acte, ce n’est pas procéder selon des règles naturelles, mais c’est suivre une modalité socialement située de punition, reposant sur un transfert émotif d’un crime à un patient qui nous semble moralement proche de celui-ci.

Cette remise en cause peut se dire dans des termes plus troublants encore, car il faut tenir l’ambition de cette conception sociologique jusqu’au bout : en disant que l’imputation de responsabilité qui lie la sanction à l’auteur volontaire de l’acte est le produit d’une structure sociale très spécifique, Fauconnet entend récuser que le jugement de responsabilité soit un simple jugement de causalité, que la valeur de celui-ci vienne de ce qu’il retrace plus ou moins exactement l’origine du fait à sanctionner que l’on pourrait retrouver dans l’esprit de son auteur. Il y a bien un rapport causal à l’origine d’un crime dans lequel l’auteur est impliqué, mais le jugement qu’une société effectue lorsqu’elle cherche à punir ne retrace pas ce rapport, il est la traduction d’un transfert moral depuis un crime insaisissable jusqu’à un patient apte à le remplacer. Ce n’est donc que pour des raisons propres au contexte moderne que l’on a pu confondre ces deux mécanismes.

 

Dans votre préface, vous montrez de façon très convaincante que cette forme moderne de responsabilisation, telle qu’elle est analysée par Fauconnet, permet de comprendre la façon dont le libéralisme en est venu à imputer aux individus précarisés la « faute » de leur pauvreté. Pouvez-vous revenir sur ce point ?

Sans doute faut-il commencer par dire qu’en comprenant le droit pénal en deux temps – en déliant le rapport causal conduisant à un fait et le rapport d’imputation conduisant de ce fait à un patient substitut – Fauconnet entend porter une remise en cause radicale des termes dans lesquels la philosophie du droit moderne problématise son objet. En rééditant l’ouvrage, j’ai cependant voulu indiquer une autre conséquence majeure de cette démonstration, moins évidente à identifier. Dans la conception de Fauconnet, fidèle en cela à celle de Durkheim, l’étude du droit a une signification d’abord méthodologique : c’est pour comprendre l’ensemble des jugements de responsabilité que l’on se concentre sur le cas pénal censé les cristalliser. La démonstration de Fauconnet vaut donc bien au-delà du cas pénal, et j’ai voulu indiquer qu’il y avait un domaine dans lequel on pouvait en faire un usage fructueux, qui est également au cœur de la politique moderne : la question sociale. C’est à ce niveau que prend sens l’analyse d’un phénomène comme celui de la pauvreté, en ce que son caractère choquant, l’atteinte à la dignité humaine qu’elle nous paraît produire, fait émerger, dans nos sociétés, un besoin de sanction.

Pour prendre en charge cette thématique depuis la thèse fauconnienne, il faut cependant accepter de la complexifier quelque peu : que se passe-t-il lorsqu’un fait, comme la pauvreté, porte atteinte aux normes morales d’une société, sans pour autant que l’on puisse en faire le procès ? Il ne s’agit en effet plus d’un acte précis et déterminé à partir duquel on pourrait faire fonctionner le mode d’imputation classique de la responsabilité en modernité, fondé sur une imputation subjective à partir d’une relation de causalité. Lorsque l’on quitte le modèle de l’action isolée qui est celui du tribunal, la forme moderne du jugement de responsabilité ne parvient plus à fonctionner. Elle cherche un sujet responsable autour d’une transgression – en l’occurrence l’atteinte à la dignité humaine que manifeste la pauvreté – mais elle ne dispose plus d’un acte spécifique à partir duquel elle pourrait remonter une chaine causale. Or le besoin de sanction ayant émergé, il doit nécessairement échoir quelque part, et ce quelque part ne peut être qu’une conscience subjective, une volonté mauvaise.

On peut faire l’hypothèse que dans ce cas la seule subjectivité assez proche de la transgression pour servir de patient substitut sera celle de la victime elle-même. C’est bien ce que l’observation sociologique confirme : les sociétés modernes ont développé une façon très spécifique de traiter la pauvreté, sous la forme de ce que l’on a pu désigner comme « blâme de la victime », notamment aux États-Unis, et qui a peu de choses à voir avec les justifications traditionnelles de la pauvreté. En reprenant cette thématique depuis la démonstration de Fauconnet, on en comprend l’origine : dès lors que l’on entre dans des situations sociales plus complexes que des actes isolés, l’imputation moderne de la responsabilité n’a d’autre choix que de tomber sur la personne qui est aussi la victime du fait à sanctionner. Dans une certaine mesure, ce type de mécanisme peut s’observer dans d’autres cas. Celui de la domination masculine et des violences qu’elle implique est, pour des raisons similaires, propice à ce genre de « blâme de la victime », en l’occurrence de la femme subissant les violences. Dans le cas de la question sociale, la chose apparaît avec une telle netteté que l’on peut même identifier, à travers ce type d’imputation de responsabilité, une contradiction interne à la conception moderne de la morale : penser la société comme une somme de volontés individuelles conduit, dans certains cas bien précis, à une contradiction stricte puisque l’on se trouve contraint d’imputer une sanction à la victime dont la situation en a précisément produit le besoin. Dans la mesure où cette conception subjective a été portée par le libéralisme, celle d’un groupe et de ses rapports pouvant être réduits à un ensemble de volontés premières, on peut bien dire que l’on trouve ici le levier d’une critique du libéralisme qui se fonde intégralement de manière scientifique, à partir des contradictions internes qui découlent de cette idéologie.

 

En quoi l’État social constitue-t-il une révolution par rapport à cette conceptualisation individualiste de la responsabilité ?

Si l’on peut reprendre la question sociale depuis les développements de Fauconnet, ce n’est pas seulement parce qu’ils permettent de mieux comprendre cette question de la pauvreté et des réactions qu’elle produit, mais également parce que c’est un objectif similaire qu’il avait lui-même fixé à sa démonstration. Pour le comprendre, il faut revenir au contexte de son écriture : lorsque Fauconnet accepte, en 1898, la proposition de Durkheim de faire porter sa thèse sur le thème de la responsabilité, c’est pour accompagner un mouvement juridique qui avait, cette même année, atteint sa principale formulation législative dans la loi du 9 avril sur les accidents du travail. Or l’enjeu de cette loi, comme François Ewald l’a bien montré, est de remettre en cause, dans le cas de ces accidents, l’imputation subjective de la faute, propre au libéralisme, à travers une objectivation de la responsabilité civile qui a donné naissance au droit social. Pour le dire plus clairement : lorsque se produit un accident du travail, on cesse de chercher qui en a été le responsable pour se concentrer sur sa réparation à travers des mécanismes d’assurance. La chose devient possible en faisant exister un collectif dont les interdépendances permettent de poser qu’il en va d’un risque général propre à l’activité industrielle : si l’ouvrier peut se blesser en réalisant sa fonction, ce n’est pas parce qu’il est en faute, que sa volonté pose problème, mais c’est qu’il fait partie d’un collectif dont l’activité produit nécessairement un certain nombre de risques, pouvant se matérialiser sans qu’aucune volonté particulière n’ait à être inquiétée.

Or dans certains textes de Fauconnet commentant les débats entourant cette loi, on trouve un modèle similaire à celui que l’on a déjà appliqué au cas de la pauvreté. Si l’on aborde l’accident du travail à partir de l’imputation moderne subjective, celle d’une faute redoublant une relation causale, c’est à l’ouvrier victime de l’accident que l’on aura tendance à revenir, puisqu’il est, dans la plupart des cas, la seule subjectivité impliquée. On se retrouvera alors dans une situation où un ouvrier travaillant et produisant au bénéfice d’un patron paiera lui-même, dans son intégrité corporelle, le prix de cette activité sans pouvoir être dédommagé. C’est cette situation inacceptable, qui paraît consensuellement injuste à l’époque, qui conduit à une évolution jurisprudentielle visant à suspendre la recherche d’une responsabilité subjective, formalisée dans cette loi du 9 avril 1898. Cette rupture avec l’imputation subjective de responsabilité, impliquant que l’on ne cherche plus, pour des situations qui nous choquent, à imputer un fait à celui qui en est victime, sera généralisée sous diverses formes dans l’État social. Ce dernier peut donc être compris comme ce qui, dans les sociétés modernes, vient empêcher l’imputation subjective de responsabilité de se produire lorsqu’elle risque de se retourner sur la victime. De ce point de vue, il est possible d’affirmer que Fauconnet, en démontrant par son étude de la responsabilité que celle-ci n’a pris une forme subjective que dans un contexte très précis, indique également le moment où cette forme moderne doit être suspendue. En d’autres termes, il fonde, par sa démonstration, une politique scientifique, en trouvant dans l’étude sociologique d’un phénomène le moyen de sortir de ses contradictions. Cette sortie des contradictions implique ici de suspendre, dans certaines situations, la tendance moderne à la subjectivation de la responsabilité, au profit d’un mode de réparation et de prise en charge collective que l’on peut dire socialiste.

 

Dans quelle mesure les thèses de Fauconnet débouchent-elles par ailleurs sur une redéfinition sociologique de l’identité ?

La thèse de Fauconnet a de quoi surprendre sur un point précis : on s’attend, en ouvrant un livre se présentant comme une étude sociologique de la responsabilité, à trouver une argumentation de type déterministe, récusant toute responsabilité des individus au profit de celle d’une « société ». La critique sociologique ne décrit pourtant pas une détermination des actes, mais cherche plutôt à rendre compte des évolutions socio-historiques qui touchent les croyances dans la forme de responsabilité jugée légitime. Dans le cas moderne, ces évolutions ont conduit à ce que l’on ne puisse plus être déclaré responsable que dans le cas général où l’on a, en tant qu’individu, voulu et commis un acte. Il ne s’agit donc pas de déclarer cette croyance infondée, mais de rendre compte des évolutions sociales qui ont conduit à rendre progressivement absurde toute responsabilité qui ne serait pas celle d’un auteur volontaire. Cette démarche n’acquiert sa véritable portée que lorsque l’on comprend que les évolutions de la responsabilité sont le témoin privilégié d’une dynamique bien plus générale.

L’explication du mécanisme à l’origine de la subjectivation de la responsabilité a en effet une ambition plus grande, et s’inscrit dans un programme d’ensemble porté par l’école française de sociologie, consistant à suivre l’évolution individualiste de la morale moderne. Cette démarche rencontre effectivement le thème de l’identité, et ce sur un double plan. D’abord celui d’une intériorisation progressive des normes morales sous une forme de plus en plus subjective, interne à la conscience. La forme la plus classique de cette démonstration emprunte la voie de l’analyse des pratiques religieuses, à travers la comparaison entre les rites obligatoires du totémisme, prescrivant certains actes sans égard pour les dispositions intérieures de ceux qui les effectuent, que l’on peut opposer au protestantisme comme archétype de la religion moderne, intégralement défini par des obligations pensées sur un mode purement intérieur, à travers une foi dénuée de tout rite corporel. De ce point de vue, on peut dire que le contenu de la morale devient intérieur et psychique, que nos actes nous paraissent de plus en plus valoir exclusivement par leur intention.

Ensuite, et solidairement, sur le plan d’une théorie générale de la personnalité et de l’intériorité comme expression tardive et spécifique d’un rôle social. L’œuvre de Mauss, poursuivant certaines indications de Durkheim, a offert le meilleur témoignage de cette thèse, par exemple lorsqu’il démontre que l’idée de personnalité est le produit d’une longue histoire, dans laquelle on trouve une étape romaine où le terme de personne désigne les masques que l’on porte lors de représentations théâtrales, pour interpréter un rôle. Ou encore lorsqu’il décrit les émotions ressenties et exprimées à l’occasion d’un deuil dans certaines sociétés australiennes comme des pratiques rituelles constituant autant d’obligations sociales. Ce qui apparaît comme la plus intime des réalités, nos sentiments intérieurs qui nous définissent dans notre singularité, sont donc le produit d’une intériorisation de pratiques sociales obligatoires. L’essentiel de cette position consiste cependant à affirmer que ce statut social de la personnalité et de ses expressions ne l’éloigne pas du tout de l’idée de sincérité qu’on lui reconnaît ordinairement, mais au contraire que la sincérité en tant que telle doit être comprise comme l’appropriation individualiste d’un rôle social.

On peut dire que la démonstration de Fauconnet fournit la pièce manquante de cette théorie générale. Par l’étude de l’évolution de la responsabilité conduisant à ce que seule la conscience volontaire devienne patient légitime de la sanction, il se met en état de décrire deux choses : il peut d’une part expliquer le mécanisme réel de cette dynamique d’intériorisation progressive de la morale, qui s’enclenche et fonctionne à partir de jugements moraux d’imputation ; et d’autre part indiquer que ce mouvement a conduit les forces sociales libérées dans les sanctions, à force de ne pouvoir toucher qu’un individu, à s’intérioriser dans son corps sous la forme d’un sentiment d’obligation interne, d’une autocontrainte psychique, d’où est également née l’idée d’une moralité intérieure singularisante et d’une personnalité.

 

Paul Fauconnet, La Responsabilité, éd. et préface de Sacha Lévy-Bruhl, Paris, PUF, 2023. 

 

 

Illustration : Jack Levine, The Trial, 1953. 

 

 

 

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