[Bulletin #3] Manger vert : entretien avec Pierre-Emmanuel Dillot, éleveur

 

Cet entretien avec Pierre-Emmanuel Dillot fait suite à l’article de Marc Dufumier et à l’entretien avec Matthieu Courgeau ; il est le troisième texte de notre bulletin #3 « Manger vert ».  

Il sera suivi en février du bulletin #4, « La guerre civile est déjà finie » (Emmanuel Phatthanasinh, Nadia Henni-Moulaï, Haoues Seniguer).

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Pierre-Emmanuel Dillot, 32 ans, est éleveur en Poitou-Charentes.

 

 

GERMINAL – Pouvez-vous nous décrire en quelques mots votre exploitation agricole (taille de l’exploitation, système conventionnel ou bio, commercialisation en filières longues, circuits courts ou vente directe) et votre travail ? 

 

Pierre-Emmanuel DILLOT – Je suis installé depuis deux ans, et j’ai une exploitation conventionnelle, qui fait 187 hectares dont environ 55 à 60 hectares de prairie, une centaine d’hectares pour le troupeau et le reste en culture de vente. Je suis dans la viande bovine charolaise. Mes animaux sont uniquement voués à faire la viande. Je les fais naître et je les engraisse – je tiens à « finir » moi-même mes animaux. Je fais un tout petit peu de vente directe (trois ou quatre animaux par an) mais c’est vraiment minoritaire et personnel. J’ai choisi un autre système de commercialisation : nous sommes 13 ou 14 producteurs qui développons un label rouge charolais. On s’entend très bien, et nous avons tous la vocation de faire dans la qualité et de monter en gamme avec les animaux. Les exploitations sont là à vocation de pâturages, on utilise au maximum l’herbe sur l’exploitation, et nous avons le souci de valoriser cette herbe correctement. Nous n’utilisons pas d’OGM.

Aucune coopérative, aucun marchand de bestiaux ne voulait nous accompagner au départ. On a commencé par monter la filière à deux. On travaille aujourd’hui avec des bouchers dans des magasins (grandes surfaces, comme Auchan et Leclerc) et des petites boucheries via le label rouge – c’est vraiment une filière haut de gamme. On travaille également sur le local : je veux que les animaux soient nés, élevés, abattus et consommés dans le département. C’est quelque chose auquel on tient vraiment. Cela nous permet par ailleurs de fixer les prix de vente avec les magasins. Globalement, notre système fonctionne très, très bien.

C’est plus difficile de gérer les taurillons : je n’ai toujours pas la possibilité de le valoriser dans les circuits courts de cette manière. C’est par ailleurs un peu compliqué avec les grandes surfaces, elles veulent essentiellement faire des marges sur le taurillon et la vache laitière, et il est difficile de négocier avec eux, de leur faire accepter de bons produits à prix corrects. La concurrence est trop forte avec l’abattoir qui propose des choses à très bas prix.

 

 

Pourquoi avoir décidé d’être agriculteur ?

 

Ce n’était pas du tout prévu. J’ai d’abord fait une prépa dans le but de faire une école vétérinaire. Au moment de visiter les écoles, j’ai finalement préféré choisir une école d’ingénieur qui ouvrait plus de portes. Et puis je suis quelqu’un de très rural, je suis né à la campagne. J’ai voulu tenter le secteur de l’élevage. Après mon école d’ingé, j’ai été recruté dans un groupement de producteurs bovins viande, où j’ai fini responsable technique. Ensuite mon père (qui est agriculteur) a eu des ennuis de santé, et à cette époque je parcourais les quatre coins de l’Ouest du fait de mon métier, ce qui était compliqué…J’ai saisi l’occasion de reprendre la ferme familiale quand l’occasion s’est présentée. Je peux dire aujourd’hui que suis passionné d’élevage, en particulier de la partie bovine.

 

 

Comment le métier a-t-il évolué depuis que vous exercez ?

J’exerce depuis seulement deux ans, donc c’est un peu difficile à dire. Mon père est assez défaitiste sur l’état de l’agriculteur, il en a vraiment ras-le-bol. Il était dans un système très intensif, c’est-à-dire l’opposé de moi maintenant.

Quand on s’installe, on a droit à des aides. J’avais fait un projet sur papier, un projet qui est censé durer cinq ans. J’ai fini ma deuxième année d’exploitation au mois de septembre, j’étais dans les clous de mon projet.

En revanche, il y a eu une suppression d’une partie des aides récemment, à peu près 8000 euros de moins. J’ai donc dû changer pas mal mon système, car 8000 euros, ça ne se sort pas comme ça. Finalement, je suis très aidé par ce que j’avais gagné dans mon ancien métier.

 

 

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans votre métier ?

 

Je trouve qu’il y a surtout des difficultés pour commencer, d’un point de vue financier. J’ai actuellement 600 000 euros d’encours à la banque. J’ai évidemment racheté la ferme à mes parents, elle ne m’a pas été donnée. Mais mes parents ont été obligés de me prêter une partie de l’argent. C’est très compliqué de s’installer, les banques n’accompagnent pas les jeunes agriculteurs. Les aides du second pilier viennent tardivement. Et puis il y a le risque d’échouer derrière évidemment.

D’un point de vue climatique, les périodes de pluie ou de sécheresse durent de plus en plus longtemps…le temps est beaucoup moins régulier sur l’année. Il y a deux ans, il y a eu des pics de chaleur vraiment importants.

 

 

Comment appréhendez-vous les conséquences de la crise écologique sur le monde agricole et plus particulièrement sur votre travail et ses évolutions ? Avez-vous le sentiment d’être un acteur de la transition écologique ?

 

J’essaye ! On s’efforce de mettre en place un certain nombre de choses. On devient un acteur de l’écologie quand on essaye de ne pas mettre du phytosanitaire pour le plaisir et n’importe où. On fait tout pour diminuer les intrants – parce que cela coûte de toute façon très cher ! J’ai augmenté le nombre de cultures dans ma rotation, j’ai mis des légumineuses…Ça a été très fructueux quant à l’objectif de baisse d’intrants.

Je mets de plus en plus d’herbe à pâturer sur mes surfaces parce que c’est le moins cher. Cette année, j’ai replanté 200 mètres de haies. Depuis l’année dernière, je suis inscrit dans un groupe de démarche Label bas carbone. L’objectif était double : d’une part, savoir quelles étaient mes émissions sur mon exploitation. D’autre part, savoir comment améliorer le bilan carbone de l’exploitation. On examine précautionneusement tous les points de l’exploitation (électricité, fioul, etc.). C’est intéressant à double titre : cela permet d’économiser du carbone et d’économiser financièrement. Notre aire de jeu reste la Terre, il faut en prendre en soin.

 

 

Vous sentez-vous bien accompagné en France, en tant qu’agriculteur, par les pouvoirs publics et l’Union européenne ? 

 

J’attendais beaucoup des États Généraux de l’alimentation, en 2017. J’y croyais dur comme fer, je me suis dit qu’on allait pouvoir mettre des choses à plat. Mais ce qui en est accouché derrière en réalité est bien peu intéressant.

Il y a eu en revanche beaucoup de communication sur la partie label, et on a pu grâce à cela rentrer dans les magasins. Mais si nous n’avions pas pris ce projet de label à bras le corps, ça n’aurait jamais marché comme ça.

 

Il y a un problème concernant la répartition de marges dans la filière, je trouve. Certains en prennent vraiment plus que d’autres.

Aujourd’hui, notre PAC est ultra nécessaire pour le fonctionnement de nos exploitations – tant qu’il y aura de la distorsion de concurrence en tout cas, notamment au sujet des produits autorisés selon les pays, des conditions d’élevage des animaux…Personnellement j’essaie de rentrer dans une démarche welfariste.

En fait, j’ai besoin des aides et de la PAC tant que la production ne sera pas évaluée à sa juste valeur. Je dirais qu’il y a un problème d’orientation : les aides favorisent certains systèmes (ça a un peu changé avec la PAC récente toutefois : mais quand même, les différences d’aides sont énormes parfois d’un type d’exploitation à un autre). Nous, on est dans une zone intermédiaire, où il n’y a pas de gros rendements céréaliers. On est perfusés d’aides et c’est pour cela que ça fonctionne. Il y a des perspectives d’approvisionnement des écoles et des hôpitaux mais ça ne suffit pas – ce serait tout au plus un repas par mois de viande locale. Je pense qu’il y a beaucoup à faire de ce côté-là (cantines scolaires et d’EHPAD, d’hôpitaux, maisons de retraite, etc.) : le nombre de repas est énorme, et par ailleurs cela concerne nos enfants, nos anciens et nos malades. Il est quand même très douteux de leur donner de mauvais produits.

 

 

Selon vous, l’agriculture a-t-elle un bel avenir en France ? 

 

Oui j’espère ! Sinon je n’aurais pas fait ce métier. Il faut être acteur de ce qu’on fait, ne pas se laisser emporter passivement par le flux. Personnellement, je m’implique dans pas mal de choses, et je voudrais faire plus. Mais je suis très pris : je suis le seul gérant de mon exploitation avec un salarié à mi-temps, en étant aidé par mon frère qui a une exploitation voisine si besoin. J’aimerais avoir un salarié à plein temps sur mon exploitation d’ici cinq ans, ce qui me permettrait de me libérer pour des concertations, des réunions. Ce ne n’est pas facile quand on a tous ces animaux à garder !

 

 

Si vous aviez un souhait pour les années à venir ?

 

J’aimerais monter en gamme dans l’ensemble des productions ; aujourd’hui je suis en conventionnel, mais je ne me ferme aucune porte pour passer en bio s’il se trouve y avoir un marché. Je veux être un fervent défenseur de la qualité, du haut de gamme, être fier de ce que je produis sur mon exploitation. Elle est très belle par ailleurs : j’adore la faire visiter aux randonneurs qui passent dans la vallée. Je veux être fier le matin en me levant, fier de ce que je fais.

Si la société me demande de faire évoluer mon métier, je suivrai bien évidemment le mouvement. Être en adéquation avec ce que souhaitent les citoyens, c’est mon souhait. J’aspire à bien nourrir les gens.

Je pense que le système industriel a vécu. Il apporte peut-être encore de bonnes choses concernant les produits à bas coût pour les consommateurs en difficulté mais c’est tout. Je ne pense pas qu’il faille s’orienter dans cette direction.

 

Entretien réalisé par Marion Bet (membre du comité de rédaction).

 

Illustration : Vincent van Gogh, « Champ de blé vert, Auvers », 1890, Washington, National Gallery of Art.

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