Numéro #5 – L’école émancipatrice

Édito – L’école émancipatrice 

Marion Bet et Christophe Prochasson

Face aux difficultés actuelles de l’institution scolaire, un « socialisme d’éducation » renouvelé pourrait contribuer à la réalisation de l’ambition émancipatrice de l’école autour de trois grands principes : équité de la différenciation, universalité du système scolaire et émancipation par le savoir.

 

De l’école unique à l’école inclusive

Jean-François Chanet

Pour comprendre les attentes que nourrit l’école, il faut revenir sur le vaste mouvement de démocratisation scolaire, envisagé dans le temps long. Depuis la IIIe République jusqu’à aujourd’hui en passant par les réformes du Front populaire, l’égalité des chances d’accès pour tous les enfants à toutes les carrières se révèle être une entreprise en chantier à laquelle il nous faut encore contribuer, en luttant contre le doute sur la possibilité même de « sauver l’école ». À partir de son expérience de recteur, Jean-François Chanet dégage trois enjeux de démocratisation scolaire : le rôle de l’État vis-à-vis des collectivités, les effets pervers de la division du travail éducatif et le rôle des élèves dans les processus de décision.

 

Évolution du niveau et comparaisons internationales

Entretien avec Éric Charbonnier

Éric Charbonnier, membre de l’OCDE à la Direction de l’éducation, revient sur les classements PISA, leur utilité et ce qu’ils révèlent à propos de la France – pays où le milieu socio-économique influe de manière particulièrement forte sur les performances scolaires. Il montre dans quelle mesure les classements internationaux peuvent orienter vertueusement les réformes politiques et rappelle les préconisations de l’OCDE en matière d’éducation.

 

Face aux inégalités : pour une école plus fraternelle

Jean-Paul Delahaye

La France est aujourd’hui l’un des pays de l’OCDE dans lequel l’origine sociale pèse le plus dans les destins scolaires et où les inégalités persistent. Une réflexion approfondie sur la diversification des pédagogies, les rythmes scolaires, le budget alloué aux différentes parties du système, et une meilleure intégration des classes populaires au débat public sur l’école, permettrait de sortir de cette logique inique.

 

Retour sur le projet de refondation de l’école de 2013

Entretien avec Vincent Peillon

Vincent Peillon, ancien ministre de l’Éducation nationale, évoque les ambitions et les difficultés qu’a rencontré la loi de 2013, dite de « Refondation de l’école ». Il expose en quoi l’école primaire est une clef de l’amélioration de notre système scolaire, et ce que peut apporter une réforme des rythmes scolaires. Il développe enfin sa vision de la laïcité et d’une conception socialiste de l’école.

 

Réforme du baccalauréat : l’heure du bilan?

Emma Dupont

Sous couvert de briser la « cage de fer » des filières et de favoriser l’autonomie élèves, la réforme du baccalauréat initiée en 2018 a plutôt renforcé les traits qui font du lycée le lieu d’une concurrence entre les projets d’individus socialement et scolairement inégaux, avec pour corollaires la désorientation et l’angoisse croissantes d’un grand nombre d’élèves, la mobilisation permanente d’une administration exténuée, et l’amertume de professeurs.

 

Témoignages : paroles d’enseignants

Professeurs et ex-professeurs évoquent leur intérêt et leurs difficultés dans ce métier. Critiques envers la notion de « vocation », insatisfaits de la formation réservée aux enseignants et incertains quant à leur avenir professionnel, ils font état du poids des inégalités scolaires dans les trajectoires des élèves, mais aussi d’un manque d’accompagnement et de moyens au sein de l’Éducation nationale.

 

Les transformations sociologiques et politiques du monde enseignant

Entretien avec Géraldine Farges

Quelles sont les évolutions sociologiques et historiques du métier d’enseignant ? Géraldine Farges examine le sentiment de déclassement qu’éprouvent aujourd’hui les professeurs et expose les différentes lignes de fracture tant idéologiques que sociologiques qui traversent ce corps professionnel.

 

Les relations entre parents d’élèves et professeurs : leçons de la fermeture des établissements scolaires durant la crise de la Covid 19

Séverine Chauvel

La massification scolaire et la généralisation des aspirations aux études longues posent à nouveaux frais la question des relations entre les professeurs et les parents d’élèves. Séverine Chauvel revient sur ces évolutions en analysant la tendance à la participation des parents dans les pratiques scolaires. Elle met en avant la manière dont la crise sanitaire du Covid a contribué à ouvrir de nouveaux espaces de délibération à propos des règles scolaires.

 

Contributions syndicales

SGEN-CFDT, UNSA ET FCPE

Ce dossier présente les réponses des syndicats qui ont donné suite à l’appel à contribution de Germinal. Catherine Nave Bekhti, secrétaire générale du Sgen-CFDT, Benoît Kermoal, secrétaire national de l’UNSA, et la FCPE reviennent sur l’ambition et les évolutions de leurs mouvements syndicaux.

 

Laïciser l’enseignement privé : retour sur la loi Debré de 1959

Claude Lelièvre

La loi Debré de 1959 apporte à la question des rapports entre enseignement privé et public une réponse originale qui permet d’éclairer le statut actuel de l’enseignement privé et les difficultés qu’il peut soulever. En soumettant le financement des établissements privés à la passation d’un contrat qui implique le respect des programmes de l’enseignement public, la loi Debré a transformé les établissements privés en services publics dans une perspective assumée d’intégration nationale. Ce mouvement de normalisation étant arrivé à son terme, la loi Debré constitue-t-elle toujours un cadre suffisant pour régler la question du statut de l’enseignement privé ?

 

L’enseignement privé en France en 2020

Bruno Poucet

Bruno Poucet revient sur l’histoire et la situation actuelle de l’enseignement privé en France. Si le privé semble s’être « normalisé » au travers de la contractualisation avec l’État, ses effectifs progressent aujourd’hui à la marge dans le primaire hors contrat mais très nettement dans l’enseignement supérieur.

 

Ce que cache la « priorité à l’école » ? Les gauches et les réformes éducatives 

Ismail Ferhat

Le rapport de la gauche à l’école repose sur un paradoxe. D’un côté, les forces de gauche accordent une priorité traditionnelle au système éducatif ; de l’autre, la réflexion sur l’école a été un remarquable facteur de division au sein de cette même famille politique. Il est néanmoins décisif que la gauche se concentre sur trois enjeux relatifs à l’institution scolaire : ne pas surinvestir l’école d’une mission qu’elle ne saurait réaliser ; rétablir l’équité budgétaire au sein du système éducatif ; enfin, anticiper les prochaines mutations de la démographie scolaire.

Le socialisme dans la formation de l’école républicaine

Gilles Candar

Quelle est la part du socialisme dans la construction de l’école républicaine puis de sa démocratisation ? Gilles Candar évoque les tensions internes à la gauche au sujet de l’éducation, préconise la reconnaissance du métier d’enseignant, et regrette que les socialistes aient, depuis les deux dernières décennies, conçu l’école essentiellement à travers des critères d’employabilité, de lutte contre le chômage et d’efficacité économique.

 

La gauche et l’école : tentative de clarification idéologique

Cyril Lemieux

Pour relancer une réflexion authentiquement de gauche sur l’enseignement, il importe d’effectuer une analyse idéologique des différentes politiques éducatives – libérale, réactionnaire et socialiste. Cette analyse doit s’intéresser non seulement aux discours sur l’école, qu’elle décrypte, mais également aux pratiques empiriques des acteurs de l’éducation. Ainsi pourra-t-on dégager toute la spécificité du socialisme dans son rapport aux connaissances, et ouvrir la voie à une pensée sociologique de l’autorité enseignante.

 

La méritocratie est-elle un idéal de justice sociale ? Les enjeux de la différenciation égalitaire

Nathan Cazeneuve

Le discours méritocratique remplit avant tout la fonction de justifier la différenciation des carrières et de positions sociales dans des sociétés où celles-ci ne relèvent plus de la naissance, mais des exigences de spécialisation produites par la division du travail. La méritocratie peut-elle alors véritablement constituer un idéal de justice ? Au-delà d’une méritocratie réduite à la valorisation du mérite individuel et centrée sur la sélection des élites, une conception proprement socialiste du mérite doit se concentrer sur la valorisation objective des compétences dans leur diversité afin de produire une différenciation plus juste car plus égalitaire.

 

Laïcité et socialisme. Un changement de regard

Bruno Karsenti

Recueillant en lui-même des tensions sociales majeures, le concept de laïcité s’est trouvé récemment au centre d’usages polémiques. Il est urgent de le redéfinir d’un point de vue sociologique et historique, et d’examiner les formes que revêt la présence du religieux au sein des sociétés sécularisées, depuis l’époque de leur émergence et à l’aune de leurs transformations récentes. Ce faisant, on parviendra à montrer en quoi le socialisme peut être conçu, à la différence du libéralisme et du conservatisme, comme un courant intrinsèquement laïc et que la laïcité est au fondement d’un enseignement émancipateur.

 

Pédagogues et républicains : au-delà d’un faux débat

Marion Bet

Que recouvre le débat entre « pédagogues » et « républicains » ? S’agit-il d’un antagonisme stérile, et peut-on concevoir une pédagogie qui réponde aux enjeux d’instruction de l’école, tout en prenant en compte l’hétérogénéité de la salle de classe ? Si on la considère comme un medium de réflexivité sociologique, la pédagogie a beaucoup à offrir aux sociétés modernes en termes d’émancipation. Elle est un support décisif au déploiement d’une pensée socialiste de l’école.

 

Les pratiques d’évaluation scolaire au service de l’équité et de l’efficacité

Pierre Merle

L’évaluation par notes engendre des effets négatifs qui entravent l’apprentissage. Elle produit et reconduit des biais qui nuisent à la progression des élèves. Au lieu de noter et de classer, le travail pédagogique de l’école doit être de former. Les méthodes d’« évaluation formative » fondées sur le contrôle de l’acquisition des compétences qui constituent un socle commun d’apprentissage devraient ainsi se substituer à la notation chiffrée.

 

Formation ou formatage ? Les transformations de la formation professionnelles des futurs ouvriers et employés

Gilles Moreau

La voie professionnelle est devenue depuis quelques décennies une voie de relégation scolaire. En privilégiant l’insertion immédiate des jeunes en entreprise plutôt que leur éducation par un enseignement professionnel de haut niveau, les gouvernements récents ont renoncé à concevoir la voie professionnelle comme émancipatrice. Il est pourtant possible de concevoir les formations techniques comme un lieu d’apprentissage exigeant, indépendant des contingences du marché du travail, et capable d’enseigner à ses destinataires l’autonomie du jugement.

 

Le lycée professionnel : apprendre un métier hors du travail salarié

Sophie Denave et Fanny Renard

Comment se déroule l’apprentissage d’un métier au lycée ? Comment les savoirs et savoir-faire sont-ils transmis et comment les jeunes, sous statut scolaire, sont-ils initiés au monde du travail ? À travers une enquête sociologique menée dans des CAP coiffure et mécanique de deux lycées professionnels, Sophie Denave et Fanny Renard décrivent les modalités de la socialisation professionnelle en lycée. Elles montrent ainsi les vertus d’une formation professionnelle scolarisée, qui ne soit pas soumise aux impératifs de productivité propres à l’entreprise.

 

Que faire de la carte scolaire ? Pour une politique étatique d’égalisation des conditions d’accès à l’école

Lorenzo Barrault-Stella

Quiconque se préoccupe de rendre l’institution scolaire plus égalitaire doit se poser la question de la répartition des élèves, de l’accès nécessairement territorialisé aux établissements, et donc de la carte scolaire. Quelle politique d’affectation des élèves permettrait de remédier aux effets inégalitaires de la carte scolaire ? Contre l’idée de sa suppression, Lorenzo Barrault-Stella avance qu’une refondation ambitieuse en la matière ne peut se faire que sous l’égide de l’État, et à travers une prise en compte des spécificités socio-spatiales localisées.

 

Comment être un chef d’établissement en démocratie?

Christophe Prochasson

De quelle manière concevoir le statut d’un chef d’établissement en démocratie, en dépit de la contradiction apparente qui traverse une telle exigence ? Christophe Prochasson critique la conception managériale qui constitue généralement la réponse apportée à cette recherche et suggère que le charisme et le savoir-faire peuvent être une voie salutaire pour conquérir une forme d’autorité démocratique.

Partagez l'article